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servir Molière dans la création de Tartuffe. Il a puisé dans tous les événements et tous les faits qui se sont manifestés entre 1660 et 1667 : querelles du jansénisme et du molinisme ; les Provinciales brûlées par le bourreau ; les intrigues de l’austère duchesse de Navailles et d’Olympe de Mancini contre les amours du roi ; la cassette de Fouquet et la chute de ce ministre ; le personnage odieux de Letellier ; toutes les manœuvres contradictoires des courtisans et des dévots ; la fausse mysticité du père Lemoine ; la rigidité affectée de quelques amis d’Arnauld ; la morale relâchée d’Escobar ; les arrestations arbitraires commandées par le roi ; le personnage patelin et sensuel de cet abbé de Roquette, « qui prêchait les sermons d’autrui ; » les anecdotes de la cour et de la ville ; la disgrâce de la comtesse de Soissons ; tout, jusqu’à la retraite sévère des Singlin et des Arnauld ; l’époque entière vient se concentrer dans son œuvre. Il a même indiqué par le personnage de l’huissier « Loyal, » cet oiseau de proie si rempli de douceur, cet autre Patelin exerçant pieusement son triste office, l’existence d’une secte entière vouée à la componction la plus mielleuse et à une douceur de ton qui ne fait que s’accroître de l’inhumanité des actes. Les jésuites se turent. Les jansénistes sentirent le coup, et ne pardonnèrent pas à Molière.

Rabelais, Boccace, Pascal, Platon dans sa République, Scarron même dans sa nouvelle des Hypocrites, lui fournirent des couleurs et des détails. Il y a dans cette dernière nouvelle, imitée de l’espagnol, un « Montufar, » dont le nom, par parenthèse, n’est pas sans analogie avec « Tartuffe, » et qui échappe à la vengeance des lois par la même pénitence humiliée, par la même abjection chrétienne qui réussit à Tartuffe. Qui ne se souvenait alors des profondes hypocrisies du cardinal de Richelieu ? Comme Tartuffe, il avait osé parler d’amour à la femme de son maître. Comme le héros de Molière, il s’était pros-