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mari, représentait Dorine, la servante maîtresse, « forte en gueule et impertinente, » devenue la première autorité d’une maison mal conduite. Madame Pernelle, cette aïeule entêtée qui ouvre la scène d’une façon si admirable, était représentée par Béjart lui-même, et Molière s’était réservé le personnage du crédule Orgon.

Depuis ce temps Tartuffe représente le masque hypocrite et la formule du mensonge, non-seulement pour la France, mais pour l’Europe et l’avenir. Comme Patelin, Panurge, Figaro et Falstaff, comme Lovelace et Don Juan, il vit toujours, il est immortel.

Mais qu’est-ce que Tartuffe ? Selon quelques commentateurs, ce serait le diable, der Tauffel, qui serait transformé en ter Teufel, puis enfin en Tartuffe. Selon d’autres, ce serait une allusion à ce personnage dévot qui, d’un ton contrit, onctueux et pieux, demandait sans cesse qu’on lui servît des « truffes. » Absurde étymologie. Tartuffe est simplement le Truffactor de la basse latinité, le « trompeur, » mot qui se rapporte à l’italien et à l’espagnol « truffa » combiné avec la syllabe augmentative « tra, » indiquant une qualité superlative et l’excès d’une qualité ou d’un défaut. Truffer, c’est tromper ; « Tratruffar, » tromper excessivement et avec hardiesse. L’euphonie a donné ensuite « tartuffar, » puis Tartuffe. Il est curieux de retrouver cette dernière désignation appliquée aux « truffes » ou « tartuffes, » qui deviennent ainsi les trompeuses. Platina, dans son traité de Honesta voluptate, indique cette étymologie relevée par le Duchat et Ménage. Truffaldin, le fourbe vénitien, se rapporte à la même origine. Tartuffe, Truffactor, le Truffeur, est donc le roi des fourbes sérieux comme Mascarille est le roi des fourbes Comiques ; aussi toute manifestation de l’irritation française contre l’autorité de la formule, contre l’envahissement des simulacres, a-t-elle eu pour expression le mot Tartuffe. C’est Tartuffe que l’on a demandé, joué, applaudi,