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fense. Bien reçus par le monarque, ils n’obtinrent qu’une réponse dilatoire et la promesse de faire examiner la pièce à son retour.

C’était la grande question morale du xviiie siècle qui se débattait déjà, celle de la religion contre la philosophie, celle de Bossuet contre Voltaire.

En 1660, on avait brûlé les Provinciales, satire redoutable de la fausse dévotion. D’une part, on essayait de resserrer violemment les liens de l’unité religieuse, et la révocation de l’édit de Nantes se préparait. D’une autre, le salon de Ninon de Lenclos, cette antichambre de Ferney, servait de rendez-vous et de point d’appui aux partisans et aux protecteurs du Tartuffe.

Pendant deux années, le combat eut lieu autour du Tartuffe. Enfin Molière eut le dessus.

Après deux années d’interdiction, le 5 février 1669, grâce aux efforts des amis de Molière et à la merveilleuse prudence de sa conduite, le symbole du mensonge dévot apparut enfin sur la scène. On s’y porta en foule ; on se souvenait que deux ans auparavant, toutes les loges étant pleines pour la seconde représentation du Tartuffe, un ordre exprès était venu pour empêcher la représentation.

« J’eus de la peine, dit le journaliste Robinet, à voir Tartuffe, tant il y avoit de monde :

Et maints couroient hazard
D’être étouffés dans la presse,
Où l’on oyoit crier sans cesse :
Hélas ! monsieur Tartuffius,
Faut-il que de vous voir l’envie
Me coûte peut-être la vie ?
On disloqua à quelques-uns
Manteaux et côtes…

Armande était Elmire ; du Croisy, dont la voix était douce et l’air compassé, jouait Tartuffe. Madeleine Béjart, cette femme amère et violente qui avait tourmenté sa jeune sœur et l’avait forcée à se rejeter dans les bras d’un