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(comme on les nommait alors), encouragea, surveilla et protégea le développement de l’œuvre. C’était tout un monde que cette sphère des esprits forts ; et Nicole avait raison de dire qu’il n’y avait déjà plus en 1660 d’hérétiques, mais des incrédules ; à leur tête marchaient la Rochefoucauld, le prince de Condé, son amie madame Deshoulières, qui ne baptisa sa fille qu’à vingt-neuf ans ; Retz et de Lyonne, la Palatine et Bourdelot, le bonhomme Rose, qui ne croyait à rien, Saint-Évremond et Saint-Réal, Desbarreaux l’athée, Milton l’esprit fort, l’aimable, de Méré, Saint-Pavin, Laine et Hénaut, enfin les anciens compagnons de Théophile, les nouveaux amis de la Fontaine.

Ninon prêta son salon pour la première lecture du Tartuffe.

Chapelle, Bernier, Boileau lui-même, qui étaient présents, applaudirent avec les jeunes seigneurs.

Mais comment parvenir à faire représenter l’œuvre ? Tout se dirigeait vers l’ordre apparent, vers la décence extérieure. Louis XIV, en se livrant à ses amours, aimait que la dévotion régnât autour de lui. Il fallut marcher pas à pas à la conquête de la position, établir la sape et la tranchée, circonvenir le roi, se faire des appuis partout, choisir le moment où Paris était désert et s’armer d’une promesse verbale du monarque, qui venait de partir pour le camp devant Lille, pour faire jouer enfin le Tartuffe en 1667, sur le théâtre du Palais-Royal. Il y avait quelque chose de subreptice dans cette introduction de l’hypocrite, à qui Molière avait enlevé son nom de Tartuffe pour le nommer Arnolphe, et qu’il avait adouci sur plusieurs points. Malgré ces précautions, tout se souleva Le premier président de Lamoignon ordonna la suspension de l’œuvre pour en référer au roi. Deux acteurs de la troupe, la Thorillière et la Grange, partirent avec un placet et allèrent supplier Louis XIV et le prier de lever ladite dé-