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ments mondains, le père offre un asile au prétendu modèle de la perfection chrétienne, qui amène Laurent, son valet, dévot comme lui, portant soigneusement la haire et la discipline.

L’aspect extérieur de ce M. Tartuffe n’avait rien de redoutable. Un heureux embonpoint et une face riante, des yeux modestement baissés, un costume noir de la propreté la plus exquise, les mains jointes sur la poitrine, l’air béat et le sourire doucereux, il n’inspirait que bienveillante confiance. C’était le papelard de la Fontaine, et non le scélérat lugubre. Une voix moelleuse, caressante et mystique achevait ce personnage.

Dès que M. Tartuffe a pénétré dans la maison, il y fait son nid, il s’y incarne ; sa sensualité se gorge des bons dîners de son hôte et s’endort voluptueusement dans la couche molle qu’on lui apprête. Pour exploiter la situation il n’a pas besoin de faire jouer d’autres ressorts que l’apparente sincérité de sa vie dévote ; il prêche, il gourmande doucement les vices, il sert d’espion domestique. Son crédit augmente ; sa grimace sacrée suffît pour l’enraciner dans ce lieu de délices. Comme Sganarelle, avec trois mots latins, guérit tout le monde ; — Comme don Juan, avec des révérences et des politesses soutenues de son habit brodé, paye M. Dimanche ; — M. Tartuffe n’a besoin que d’un rosaire et d’un scapulaire pour vivre gros et gras, s’emparer des esprits et monter au ciel. Il doit une partie de son succès à la doctrine qu’il prêche ; doctrine d’apparences qui permet à un père l’égoïsme foncier et la cruauté réelle envers les siens, sous le voile de l’austérité dévote. Il peut affamer et déshériter sa famille sous prétexte de son propre salut, il ne doit compte qu’à Dieu ; la formule le sauvera, qu’il soit mauvais père et méchant homme en sûreté de conscience.

Voilà M. Tartuffe maître et roi de la situation ; sa santé prospère, son corps et son âme fleurissent, il est à la fleur