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Scène XIV.

ARGAN, BÉRALDE ; TOINETTE, en médecin.
toinette.

Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.

argan.

Cela est admirable.

toinette.

Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.

argan.

Monsieur, je suis votre serviteur.

toinette.

Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aie ?

argan.

Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.

toinette.

Ah, ah, ah, ah, ah ! j’en ai quatre-vingt-dix.

argan.

Quatre-vingt-dix !

toinette.

Oui. Vous voyez en effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

argan.

Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans !

toinette.

Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrotes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes