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Frosine

Par ma foi, je disais cent ans ; mais vous passerez les six-vingts.

Harpagon

Est-il possible ?

Frosine

Il faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre et vos enfants, et les enfants de vos enfants.

Harpagon

Tant mieux ! Comment va notre affaire ?

Frosine

Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien dont je ne vienne à bout ? J’ai, surtout pour les mariages, un talent merveilleux. Il n’est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le moyen d’accoupler ; et je crois, si je me l’étois mis en tête, que je marierois le Grand Turc avec la République de Venise. Il n’y avoit pas, sans doute, de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme j’ai commerce chez elles, je les ai à fond l’une et l’autre entretenues de vous ; et j’ai dit à la mère le dessein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue, et prendre l’air à sa fenêtre.

Harpagon

Qui a fait réponse…

Frosine

Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que vous souhaitiez fort que sa fille assistât ce soir au contrat de mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine, et me l’a confiée pour cela.

Harpagon

C’est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur Anselme ; et je serai bien aise qu’elle soit du régal.

Frosine

Vous avez raison. Elle doit, après dîner, rendre visite à votre fille, d’où elle fait son compte d’aller faire un tour à la foire, pour venir ensuite au souper.

Harpagon

Eh bien ! elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur prêterai.

Frosine

Voilà justement son affaire.