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Élise.

Ces sont des choses…

Harpagon

J’en aurois bon besoin.

Cléante

Je pense que…

Harpagon

Cela m’accommoderait fort.

Élise

Vous êtes…

Harpagon

Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est misérable#1.

Cléante

Mon Dieu ! mon père, vous n’avez pas lieu de vous plaindre et l’on sait que vous avez assez de bien.

Harpagon

Comment, j’ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n’y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là.

Élise

Ne vous mettez point en colère.

Harpagon

Cela est étrange, que mes propres enfants me trahissent, et deviennent mes ennemis.

Cléante

Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?

Harpagon

Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu’un de ces jours on me viendra chez moi me couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles.

Cléante

Quelle grande dépense est-ce que je fais ?[1]

  1. Dans Plaute, Euclion répète sans cesse qu’il est pauvre, ce qui est fort bien ; mais Harpagon dit la même chose, ce qui est encore mieux, parce qu’on sait le contraire. Euclion est pauvre, et est à peu près dans le cas du savetier de La Fontaine, à qui ses cent écus tournent la tête : il a trouvé dans sa maison un trésor dans un pot de terre que son grand-père avait enfoui. Dans l’Avare de Molière, ce trésor n’a pas été trouvé ; il a été amassé, ce qui vaut beaucoup mieux ; de plus, Harpagon est riche et connu pour tel, ce qui rend son avarice plus odieuse et moins excusable. (La Harpe.)