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Et traversant encor le théâtre à grands pas,
Bien que dans les côtés il pût être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaise,
Et de son large dos morguant les spectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.
Un bruit s’est élevé, dont un autre eût eu honte  ;
Mais lui, ferme et constant, n’en a fait aucun compte,
Et se seroit tenu comme il s’étoit posé,
Si, pour mon infortune, il ne m’eût avisé.
" ha  ! Marquis, m’a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu  ? Souffre que je t’embrasse. "
Au visage sur l’heure un rouge m’est monté
Que l’on me vît connu d’un pareil éventé.
Je l’étois peu pourtant  ; mais on en voit paroître,
De ces gens qui de rien veulent fort vous connoître,
Dont il faut au salut les baisers essuyer,
Et qui sont familiers jusqu’à vous tutoyer.
Il m’a fait à l’abord cent questions frivoles,
Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.
Chacun le maudissoit  ; et moi, pour l’arrêter  :
" je serois, ai-je dit, bien aise d’écouter.
--tu n’as point vu ceci, marquis  ? Ah  ! Dieu me damne,
Je le trouve assez drôle, et je n’y suis pas âne  ;
Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,
Et Corneille me vient lire tout ce qu’il fait. "
Là-dessus de la pièce il m’a fait un sommaire,
Scène à scène averti de ce qui s’alloit faire  ;
Et jusques à des vers qu’il en savoit par cœur,
Il me les récitoit tout haut avant l’acteur.
J’avois beau m’en défendre, il a poussé sa chance,
Et s’est devers la fin levé longtemps d’avance  ;
Car les gens du bel air, pour agir galamment,
Se gardent bien surtout d’ouïr le dénouement.
Je rendois grâce au ciel, et croyois de justice
Qu’avec la comédie eût fini mon supplice  ;
Mais, comme si c’en eût été trop bon marché,
Sur nouveaux frais mon homme à moi s’est attaché,