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Cathos

En effet, je trouve que c’est renchérir sur le ridicule, qu’une personne se pique d’esprit et ne sache pas jusqu’au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et, pour moi, j’aurois toutes les hontes du monde s’il falloit qu’on vînt à me demander si j’aurois vu quelque chose de nouveau que je n’aurois pas vu.

Mascarille

Il est vrai qu’il est honteux de n’avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine ; je veux établir chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu’il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m’en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris[1], deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits.

Magdelon

Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits : je ne vois rien de si galant que cela[2].

Mascarille

Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas.

Cathos

Pour moi, j’aime terriblement les énigmes[3].

Mascarille

Cela exerce l’esprit, et j’en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.

  1. On donnoit le nom de ruelles aux assemblées de ce temps-là. L'alcôve servoit de salon, et la société s'y réunissoit autour du lit de la précieuse, qui se couchoit pour recevoir ses visites. La ruelle étoit parée avec beaucoup d'élégance et de goût, et les hommes qui en faisoient les honneurs prenoient le nom bizarre d'alcovistes. (Petitot.)
  2. Le portrait, dans le sens du mot esquisse lttéraire, dans laquelle on peint soi-même ou les autres, était un genre très en vogue au dix-septième siècle. La Rochefoucauld a fait son portrait, mademoiselle de Montpensier a fait le sien, et à la suite de ses Mémoires, elle a ajouté ceux d'une soixantaine de personnages. Il n'est pas besoin de rappeler que ce genre a été élevé à la hauteur de la comédie morale et de la grande histoire par la Bruyère et Saint-Simon.
  3. L'abbé Cotin, qui publia en 1638 un recueil d'énigmes, nous apprend que les précieuses «s'envoyaient visiter par un rondeau ou une énigme et que c'étoit par là que commençoient toutes les conversations. »