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PRÉCIS DE L’HISTOIRE

tiellement les mystères, c’est la vulgarité la plus basse, la trivialité la plus minutieuse. Un seul soin a préoccupé les auteurs : ils n’ont visé qu’à retracer dans les hommes et les choses d’autrefois les scènes de la vie commune qu’ils avaient sous les yeux. Pour eux tout l’art se réduisait à cette copie, ou plutôt à ce fac-simile fidèle. S’ils nous montrent une populace, on la reconnaît à première vue pour celle des Halles ou de la Cité ; tout tribunal est à l’instar du Châtelet ou du Parlement[1]. »

L’art, dans les mystères, fut, du douzième au seizième siècle, complétement stationnaire. Leur cadre alla sans cesse en s’élargissant ; mais pour le fond ils restèrent toujours les mêmes, présentant constamment la même réalité positive et triviale, les mêmes obscénités, les mêmes profanations naïves. Aussi, quand l’Église fut menacée par la réforme, s’empressa-t-on de les interdire. Cette interdiction fut prononcée par arrêt du Parlement, en 1548 ; car, suivant la juste remarque de M. Sainte-Beuve, les risées dont on accueillit, à cette date, la Nativité de la Vierge ou les Actes des Apôtres, pouvaient rejaillir sur les dogmes et les pratiques de la religion dominante. Proscrits par le Parlement des théâtres de la capitale, les mystères n’en continuèrent pas moins, pendant quelque temps, d’être fort honorés dans la province ; mais au commencement du dix-septième siècle ils furent généralement abandonnés.

Malgré leurs défauts nombreux, les mystères présentent cependant çà et là quelques passages dans lesquels éclate la véritable inspiration poétique, et, en se tenant sans cesse dans la réalité ou le décalque fidèle des livres saints, les auteurs ont rencontré plus d’une fois le naturel et l’émotion. Nous citerons, par exemple, le Sacrifice d’Isaac. Dans la scène de l’immolation, Isaac s’approche de l’autel et dit à son père :

Mais veuillez moy les yeux cacher,
Afin que le glaive ne voye
Quand de moi voudrez approcher
Peut-estre que je fouyroye.

  1. Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français au seizième siècle. Paris, Charpentier, 1843, p. 181 et 184.