Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sa nature généreuse, expansive, tout en élans, ne pouvait s’accommoder des étroites limites intérieures où il la circonscrivait. Elle avait besoin d’air, de chaleur, de lumière, d’un large espace de ciel. En attendant que cette lumière brillât, que s’ouvrît ce ciel, Sébastien continuait de regarder la Vie passer sur un fond d’images brouillées et d’inexorable nuit.

À Vannes, chaque cour se divisait en groupes distincts, exclusifs l’un de l’autre, représentant non des communions de sympathies, ou des convenances de caractères, mais des catégories sociales, qui avaient, ainsi que dans l’ordre politique, celle-ci seulement des privilèges, celle-là seulement des obligations. Malgré les incessants contacts, les coude-à-coude forcés de l’étude, de la classe, de la chapelle, du réfectoire, où les angles s’épointent, où les heurts s’amollissent, où l’instinctif sentiment d’une défense commune, contre le devoir et contre le maître, réunit, un instant, les intérêts les plus disparates, il n’existait réellement, entre ces groupes, aucun mélange moral. Durant les récréations, chacun reprenait sa place officielle, rentrait dans les étroits compartiments d’une constitution aristocratique dont les Pères, sans brusqueries, avec des apparences d’impartialité bénévole et souriante, savaient maintenir le sévère fonctionnement, encourager les préjugés, pensant faire ainsi pénétrer plus avant dans les âmes la nécessité d’une discipline graduée, le culte d’un respect hiérarchique. Guy de Kerdaniel était le chef indiscuté de la cour, dont Sébastien était le souffre-douleur. Ses fantaisies d’enfant gâté, ses amitiés changeantes, ses capricieuses