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maison. Chaque incident, grossi par son imagination, déformé par l’état d’exaltation nerveuse où l’avait mis sa scène avec Guy de Kerdaniel, lui était un accablement nouveau. Exilé de Pervenchères, il avait tout perdu ; repoussé de ses condisciples, dédaigné de ses maîtres, condamné à l’abandon, il n’avait plus rien où raccrocher une espérance. Oh ! comme les discours de son père, qui l’ennuyaient tant, lui eussent semblé délicieux à entendre ! Comme il aimait l’arrière-boutique, la cour puante, les murs aux suintements ignobles qui lui apparaissaient, aujourd’hui, plus étincelants d’or et de pierreries que les féeriques portes des songes ! Des choses oubliées, poignantes, des physionomies lointaines, misérables, lui revenaient en foule, de là-bas. Il se souvenait de François Pinchard, un voisin triste, un petit cordonnier bossu, avec des cheveux frisés, et la peau plus noire que ses cuirs. Chaque jour, en allant à l’école, ou bien au jardin, il l’entrevoyait, penché sur son ouvrage, ramassé sur lui-même, dans un raccourci douloureux qui accentuait encore la difformité de son torse. Les gamins riaient de lui, le poursuivaient à travers les rues : « Hé ! Mayeux ! » Et le petit bossu fuyait, roulant sa bosse, sur ses courtes jambes, la tête crépue à moitié cachée par le surhaussement des épaules. Sébastien se complaisait à évoquer le pitoyable souvenir de François Pinchard, tout attendri de découvrir des analogies de situation, des similitudes de souffrance, avec sa situation et sa souffrance de réprouvé. Pauvre bossu ! Il n’était point méchant, pourtant ! Bien au contraire ! Il n’était point méchant, comme sont les bossus.