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sable quincaillier !… Pourquoi, si petit, si faible, si laid, si mal vêtu, l’avait-on envoyé si loin, sans une protection, sans une défense ? Pourquoi, si brusquement, l’avoir arraché, aux quiétudes, aux intimités douces du pays, son pays, silencieux et charmant, où tout lui était familier, fraternel, où il était plus beau, plus riche, plus envié que n’importe lequel des enfants, ses compagnons d’école et de jeux ; où tout le ramenait, à cette heure de souffrance, et la dureté de l’exil et le remords de ne l’avoir pas assez aimé, ce pays maintenant perdu, aimé de cet amour encore inéprouvé, qui lui noyait le cœur d’amers regrets et de violentes tendresses ? Ici, l’air lui semblait pesant ; le vent chargé d’odeurs insolites, l’étourdissait ; les arbres maigres, dépouillés de leurs verdures fragiles, suintaient de la suie ; et le bâtiment du collège, au fond, là-bas, énorme et gris, barrait le ciel de ses quatre étages moroses, troués de fenêtres noires et sans rideaux, des fenêtres pleines d’yeux en embuscades et d’invisibles guettements d’ennemis… C’est donc là qu’il allait vivre désormais, dans le froid du cloître, dans la servitude de la caserne, dans l’étouffement de la prison, seul au milieu d’un grouillement d’êtres qui lui seraient toujours étrangers et hostiles. Ceux-ci, près de lui, passaient, indifférents à ses implorations muettes ; ceux-là lui jetaient, dans un crachat : « Quincaillier ! hou ! hou ! » Et ce « hou ! hou ! » finissait par lui causer une sorte d’hallucination. Il croyait entendre ce « hou ! hou ! » bourdonner à ses oreilles, comme un épais vol d’insectes, gronder comme un lointain appel de bêtes fauves. Cela se propageait des bouches rageuses aux yeux