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druple rangée d’ormes grêles, des enfants de son âge couraient, jouaient, d’autres se promenaient, bras dessus, bras dessous, sérieux et bavards ; d’autres encore, assis sur les marches du jeu de paume, narraient les prouesses de leurs vacances. Il n’en connaissait aucun. Pas un visage ami, pas une allure familière, pas une main prête à se tendre vers sa détresse de nouveau venu. Avec une serrée au cœur, il observait que des élèves, arrivés comme lui, de la veille, comme lui dépaysés, perdus, tout bêtes, se cherchaient, se rapprochaient, commençaient des ébauches d’amitié, sous l’œil favorable des maîtres. Seul, il restait à l’écart, n’osant faire aucune avance, de peur des rebuffades ; il sentait s’élargir le vide autour de lui, irrémédiablement ; il le sentait s’élargir de tout l’infranchissable espace, de tout l’inviolable univers qui le séparait de Guy de Kerdaniel, et des autres, de tous les autres. Cela se reconnaissait donc que son père était quincaillier ? Il gardait sur lui la visible empreinte de cet état condamné ? Il était plus repoussant qu’un chien, dont la peau est rongée par le mal rouge ? Pourtant, bien des fois on lui avait dit qu’il était joli ; on avait admiré ses boucles blondes, ses joues roses et saines, ses yeux qui ressemblaient à ceux de sa mère. On avait donc menti ?… On l’avait donc trompé ?… Il était laid, d’une laideur tellement avérée qu’elle excitait la risée, le dégoût, la haine ? Ce qui lui rendait plus sensible la certitude de cette laideur, c’est qu’il attribuait à tous ses camarades des airs de beauté, de beauté désespérante, qui tenait sûrement à leur condition heureuse de nobles et que ne pouvait ambitionner le méprisable fils d’un mépri-