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de suie, de machines fumantes, de profils perdus. Et, parmi les rumeurs, les sifflets, les roulements des locomotives sur les plaques tournantes, dans la clarté ternie du gaz, une cohue d’ombres, une bousculade de dos vagues, de visages blafards, s’agitaient. Sébastien, effaré, emboîta le pas du Père.

À Rennes, d’autres bandes d’élèves, venus de directions différentes, attendaient. Ce fut un indescriptible brouhaha, une tumultueuse mêlée de poignées de mains, d’embrassades, de confidences impatientes, auxquels l’autorité des surveillants eut peine à mettre un terme. Après un déjeuner sommaire, promptement servi au buffet de la gare, ils s’empilèrent tous dans cinq grandes diligences, serrés l’un contre l’autre, chacun jouant des coudes et des genoux, afin de s’assurer une place meilleure, Sébastien avait encore les idées obscures, les yeux bouffis de sommeil. Quoiqu’il eût très faim, il n’avait point osé prendre sa part du déjeuner. Comme personne ne l’y avait invité, il craignait de ne pas en avoir le droit. Dans la voiture, il se laissa marcher sur les pieds, renvoyer d’une banquette à l’autre, étourdi, inconscient, mais tâchant, dans son désarroi, à ne pas perdre de vue la soutane du Jésuite, comme un voyageur égaré s’obstine, du regard, vers la lumière aperçue dans la nuit, et qui le guide. Ce fut avec beaucoup de peine qu’il parvint à s’insérer entre deux camarades. Et la voiture roula.

— Tu es un nouveau ? lui demanda son voisin de droite, un bel adolescent qu’enveloppait un ample pardessus à collet de fourrure.

— Oui, répondit-il, tremblant, et cependant