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manche d’une douillette, pendant, balancée, hors du filet, promenait sur son visage une ombre noire, courte, agile et mobile, qui en déformait les traits, tantôt noyés d’encre, tantôt éclaboussés d’une trop brutale et presque fantastique lumière. Sébastien s’amusa à suivre le jeu de cette ombre qui passait et repassait avec des battements de chauve-souris. Il dut abandonner cette distraction, qui lui servait en même temps de contenance, effrayé d’entendre le Père lui adresser une question banale, dans le but de le mettre à l’aise. Le rouge lui monta au front, comme s’il eût été pris en faute. Pour répondre, par un violent effort de courage, il rappela à lui sa volonté éperdue.

Bientôt de bruyantes conversations succédèrent au silence qui avait accueilli son arrivée. Le Jésuite y prit part, sur un ton enjoué, avec une familiarité de camarade, respectueux sous ses allures libres et dégagées, du rang social et de l’argent que représentaient ces jeunes collégiens. Étant tous des anciens, il les connaissait de longue date, et s’intéressait aux récits enthousiastes de leurs vacances. C’étaient des promenades à cheval, des chasses, des voyages, des comédies au château, des cochers, des gardes, des chiens, des poneys, des fusils, des évêques ; une évocation de vie élégante, heureuse, choyée, dont le contraste avec la sienne, monotone et vulgaire, redoublait l’embarras de Sébastien, y joignait l’amertume d’une inconsciente jalousie. C’étaient aussi des nouvelles du collège, données par le Père : les embellissements du parc, la chapelle de la congrégation, restaurée en l’honneur du magnifique retable offert par la sainte marquise de Ker-