Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mon Révérend Père… C’est un père… je suis un père… un père qui… Certainement, je ne m’attendais pas, comme ça !… le grand honneur !… Et puis le soir, dans une gare, on ne voit pas bien…

Il s’empêtrait. Les mots s’étranglaient dans sa gorge. Le train allait repartir. Il embrassa gauchement son fils qui pleurait toujours, chercha une phrase décisive et, n’en trouvant pas, il bredouilla, la raison égarée, la bouche tordue de grimaces :

— Je suis content… bien content de vous avoir vu… Et sa pauvre mère eût été bien… contente… de… de… faire votre connaissance.

À peine s’il s’aperçut que Sébastien était monté dans le wagon avec le Jésuite, que le train s’était remis en marche, avait disparu, laissant la voie vide. La tête découverte, le chapeau à la main, M. Roch demeura longtemps, à la même place, sur le quai, redevenu désert. Il saluait toujours, et toujours répétait :

— Bien contente… bien contente…

Il fallut l’intervention du chef de gare pour qu’il se décidât à partir. De son trouble, de son chagrin, de cette émotion sincère qui en avait fait, tout à l’heure, une créature humaine et sensible, il ne lui restait plus que l’irritant dépit d’avoir manqué son discours, dans une occasion unique. Mécontent de cette aventure, un peu honteux de lui-même, il rentra. Il ne pensait déjà plus à son fils dont l’image disparaissait sous celle du Jésuite ; et il se disait :

— Ces Jésuites !… Quelle puissance !… Il m’a reconnu, celui-là… C’est incroyable !… Ils recon-