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Et, le dos rond, les membres gourds, ils se retirèrent lentement, à l’autre bout de la salle.

M. Roch s’indigna de ce que sa déclaration n’eût pas été accueillie de ces rustres, par plus d’étonnement et d’admiration. C’était donc, une chose naturelle, indifférente, que son fils s’en allât, en première classe, chez les Jésuites ?… Une chose qui arrivait tous les jours, à tout le monde ?… Il eut la pensée de les rejoindre, de leur expliquer ce que c’était que les Jésuites ; il se reprocha même de n’avoir pas donné au départ de son fils une plus grande solennité, de n’avoir pas invité à les accompagner, le curé, le notaire, le médecin, toutes les personnes de distinction de la ville… Mais l’impression fâcheuse disparut vite ; il se contenta de murmurer, très bas, dans un haussement d’épaules dédaigneux :

— Ces paysans !

Et, comme Sébastien continuait de pleurer, il le consola, répétant :

— Voyons, ne pleure pas… Tu vois bien que ce sont des rustres… ils ne savent rien, ces gens-là… Il ne faut pas faire attention à ce qu’ils disent.

Soudain, un employé vint ouvrir la porte.

— V’là le train, monsieur Roch !… fit-il. Dépêchez-vous… Passez de l’autre côté.

On entendait le bruit clair d’une sonnerie électrique qui se dévidait sans interruption, et un grondement sourd, pareil à l’approche d’un orage. Tous les deux, ils traversèrent la voie, se tenant toujours par la main, effarés, un peu chancelants. Et la sombre machine, terrible avec ses yeux rouges qui s’avançaient dans la nuit, siffla, roula, s’arrêta, les flancs secoués d’un halètement sauvage.