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et malpropre, le bruit qu’il faisait en buvant, une multitude de menus détails, non encore sentis, où se révélaient des habitudes relâchées, des inconvenances de tenue, si peu d’accord avec la rigide pompe de ses principes, tout cela causait à Sébastien une irritation qu’il avait peine à dissimuler. Il souffrait d’une réelle souffrance physique à voir la manière dégradante dont son père traitait l’apprenti : le pain spécial, un pain bis et grossier qui lui était dévolu, les maigres parts, les déchets graisseux des fricots que M. Roch lui jetait comme à un chien, et que l’autre dévorait silencieusement, en guignant les belles tranches de viande et les bons morceaux de pain blanc des patrons. Il ignorait ce que sa tante Rosalie entendait par « les saletés de son père ». Mais, sous l’obsession de ces paroles, il en était arrivé à le suspecter d’actes blâmables et déshonorants. Souvent, la nuit, il se levait, collait son oreille contre la mince cloison qui séparait sa chambre de celle de M. Roch, et il restait là, des heures à écouter…, soulagé de ne percevoir, dans le silence, qu’un ronflement sourd, tranquille, régulier, la respiration nasillante et gargaristique d’un homme plongé dans un sommeil profond de terrassier. Néanmoins, le prestige de l’autorité paternelle, qui s’accompagne chez celui qui la subit d’un besoin de protection et d’un instinct de confiance, s’en allait, chaque fois, détruit par cette surveillance et aussi par mille petits faits intimes, rabaissants, dont le ridicule et la grossièreté ne lui échappaient plus, l’affligeaient comme s’ils eussent été siens. En lui, d’heure en heure, des choses mouraient qu’il avait le mieux chéries ; d’autres naissaient qui mettaient en son âme des