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pour moi, mais pour tous les autres en qui j’ai tressailli. Malgré l’habitude, malgré l’éducation, je ne sens pas du tout l’héroïsme militaire comme une vertu, je le sens comme une variété plus dangereuse et autrement désolante du banditisme et de l’assassinat. Je comprends que l’on se batte, que l’on se tue, entre gens d’un même pays, pour conquérir une liberté et un droit : le droit à vivre, à manger, à penser ; je ne comprends pas que l’on se batte entre gens qui n’ont aucun rapport entre eux, aucun intérêt commun, et qui ne peuvent se haïr puisqu’ils ne se connaissent point. J’ai lu qu’il y avait des lois supérieures de la vie, que la guerre était une de ces lois, et qu’elle était nécessaire pour maintenir l’équilibre entre les peuples, et pour diffuser la civilisation ; ma raison ne peut s’élever jusqu’à cette conception. Les épidémies et le mariage me semblent bien suffisants pour empêcher le pullulement humain. La guerre ne détruit que ce qu’il y a dans les peuples, de jeune, de fort et de bien vivant ; elle ne tue que l’espoir de l’humanité.

« Je vais partir et me battre. Et je ne sais même pas pourquoi je vais partir et me battre. On me dira seulement : “Tue et fais-toi tuer, le reste nous regarde ! ” Eh bien, non, je ne tuerai pas. Je me ferai tuer peut-être. Mais moi, je ne tuerai pas. Et je m’en irai, dans les batailles, mon fusil sur l’épaule, intact de plomb, et vierge de poudre. Je ne tuerai pas…

« Mon père me navre. Le pauvre homme a un genre de comique qui me jette en d’inexprimables tristesses. Il n’est plus affaissé comme il l’était ce matin, lorsqu’il m’apporta le fatal journal. Je crois