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cesse des préoccupations sociales. On le voit toujours tiraillé entre l’amour et le dégoût que lui inspirent les misérables, entre la révolte où le poussent ses instincts et ses réflexions et les préjugés bourgeois où le ramène son éducation : « Peut-être la misère est-elle nécessaire à l’équilibre du monde, écrit-il. Peut-être faut-il des pauvres pour nourrir les riches, des faibles pour engraisser les forts, comme il faut des petits oiseaux à l’épervier ?… La misère est peut-être la houille humaine qui fait marcher les chaudières de la vie ?… Quelle terrible chose de ne pas savoir et qu’ils sont cruels ces éternels “peut-être”, qui maintiennent mon esprit dans l’ombre étouffante du doute ! » Il écrit encore : « Ce qui m’éloigne des pauvres gens, je crois que c’est une cause purement physiologique : l’extrême et maladive sensibilité de mon odorat. Quand j’étais enfant, je m’évanouissais rien qu’à respirer une fleur de pavot. Aujourd’hui, je vis beaucoup, même mentalement, par l’odorat, et je me fais souvent des opinions de certaines choses par l’odeur qu’elles m’apportent, ou simplement qu’elles évoquent. Jamais, je n’ai pu vaincre la souffrance olfactive que me donnent les odeurs de misère. Je suis comme les chiens qui aboient aux haillons des mendiants. » Et plus loin : « Non ! non ! j’ai beau chercher des raisons et des excuses, la vérité c’est que je suis lâche devant n’importe quel effort. »

Le journal de Sébastien se termine au mois de janvier 1870, par cette page laissée inachevée :