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avec terreur, le jour où les larmes ne lui suffiront plus et où elle réclamera des baisers. Une fois, Marguerite s’est enhardie jusqu’à la caresse, une caresse brusque, violente, où se sont révélées toutes ses ardeurs comprimées. Sébastien l’a repoussée brutalement et il est parti, la laissant seule, dans la nuit, en proie à une crise nerveuse. Il ne voulait plus revenir, cherchait lâchement à profiter de cet incident, pour cesser tout à fait ces rendez-vous ; et puis, il est revenu, attiré par il ne sait quoi de bon, de tendre, de chaste aussi, qui demeure sous ses dégoûts physiques et qui est fort comme de la pitié. Marguerite, vaincue, a recommencé de pleurer ; elle préfère encore ces entrevues tristes, sans jamais une parole d’amour, sans jamais une caresse, à la pensée de perdre Sébastien, de ne plus poser sa tête sur ces épaules chères, de ne plus le sentir près d’elle. Les heures passées ainsi la brisent et la consument. Elle maigrit ; ses yeux se cernent davantage ; elle n’a plus de gaietés emportées comme autrefois. Mais qu’y faire ?

Du mois d’août au mois d’octobre, Sébastien est resté dans son lit, en proie à une fièvre typhoïde, dont il a failli mourir. Il note, dans son journal, plus tard, que cette maladie n’a guère altéré les conditions morales de sa vie, et que le délire de la fièvre n’est pas sensiblement plus douloureux que la pensée normale, ni plus fou que les plus ordinaires rêves. Ses cauchemars ont toujours tourné dans le même cercle d’insupportables visions : le collège ! « En réalité, écrit-il, pendant un mois à peu près que dura ce délire, je crus revivre mes années de Vannes, et ce n’était ni plus pénible, ni