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front, un baiser, où il y avait plus que l’infini de l’amour, l’infini du pardon.

— Parce que je le veux !…

Nous rentrâmes, tous les deux, enlacés l’un à l’autre, ivres et très purs. La lune, qui montait, dans le ciel, au-dessus des coteaux, se mirait dans les larmes de l’enfant.

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À partir de ce moment, Sébastien délaisse, peu à peu, son journal. Les dates s’espacent ; les impressions se font plus rares. Ce sont d’ailleurs les mêmes luttes de ses instincts et de son éducation ; les mêmes incomplètes et stériles révoltes, les mêmes troubles cérébraux. Sa personnalité ne se dégage pas des nuages qui obscurcissent ses concepts indéfinis et peureux. Et ses énergies s’amollissent chaque jour davantage. Il n’a plus le courage de poursuivre, au delà des commencements, un travail intellectuel, une pensée, même un exercice physique. La marche lui devient une fatigue. À peine s’il a fait quelques pas, qu’il s’arrête, pris d’une insurmontable paresse devant le long déroulement des routes, et le recul plus lointain des horizons. Il s’assied sur un talus, le coude dans l’herbe, ou s’étend dans une plaine sur le dos, à l’ombre, et il reste là, des journées entières, sans penser, sans souffrir, mort à tout ce qui l’entoure. Cependant, il note encore, çà et là, brièvement, quelques rendez-vous avec Marguerite. Mais il n’a plus retrouvé les sensations du premier soir. Ces rendez-vous l’énervent et l’ennuient. Le plus souvent, il ne parle pas, et, penchée sur son épaule, Marguerite pleure ; il la laisse pleurer, et il entrevoit avec dégoût, presque