Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Voyons, Marguerite, je vous en prie.

— Dis-moi tu… dis-moi tu…

Sa voix tremblait, je redoutais une scène de larmes.

— Eh bien, comment as-tu fait pour quitter la maison ?

Elle se rapprocha de moi et, rieuse, enfantine, en petites phrases désordonnées, elle me raconta que, depuis plus d’un mois, elle huilait, chaque jour, les serrures et les gonds des portes, qu’elle était déjà, plusieurs fois, sortie dans la rue, pour essayer… et que c’était très facile.

— Tu comprends, ça ne fait pas de bruit… Je vais nu-pieds… mère dort. Et dans la rue, eh bien ! dans la rue, je marche nu-pieds aussi, pendant plus de cinquante pas… Et puis après, je mets mes bottines et je cours.

Se dégageant et se levant, d’un geste vif elle fit sauter, en l’air, l’une de ses bottines, et posa son pied nu sur ma cuisse.

— Tâte mon pied ! fit-elle… Tâte donc !

Il était humide et froid, et couvert de grains de sable.

— C’est de la folie ! m’écriai-je.

— Ah bien ! j’ai marché dans une flaque !… Qu’est-ce que ça fait ?… Puisque c’est pour te voir… Tâte encore… tu me réchauffes.

Je cherchai la bottine, lancée au milieu de l’allée, et je rechaussai Marguerite. Elle se laissait faire, heureuse de livrer quelque chose d’elle à mes soins, qui lui étaient une caresse, et babillait d’innocentes paroles. Était-ce l’enfantillage de ce babil qui éloignait de moi toute autre pensée redoutée ? Mon irritation diminuait et se fondait, peu à peu,