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de chacun de ses sermons un morceau achevé de littérature sacrée et même classique. L’éloquent prédicateur est de grande taille et d’allure essentiellement aristocratique. Son visage respire la plus haute piété. Il y aura foule, à la Trinité. »

Quelle ironie !

Le premier moment de surprise passé, je me suis demandé quelle impression cela me causait. Je n’ai pas de haine contre le Père de Kern ; son souvenir ne m’est pas odieux. Certes, il m’a fait du mal, et les traces de ce mal sont profondes en moi. Mais ce mal, devais-je, pouvais-je y échapper ? N’en avais-je pas le germe fatal ? Chose curieuse et qui me trouble. De tous les prêtres que j’ai connus, il est, je crois, celui que je déteste le moins. Je voudrais l’entendre. J’ai encore, dans l’oreille, le son de sa voix, pénétrant et doux.

Après tout, il était peut-être sincère, lorsqu’il me disait ces belles choses, dans l’embrasure de cette fenêtre, que je revois, devant le ciel nocturne, que parfois, je regrette. Il s’est peut-être repenti, qui sait ?… Et, peut-être, est-ce de ce repentir que lui viennent ces inspirés accents d’éloquence ! Ma pensée ne s’est pas arrêtée longtemps au Père de Kern. Elle s’attache, tout entière, vers l’impassible visage du Père Recteur, sur ses yeux pâles, sur cette bouche ironique, hautaine et bienveillante, mais d’une bienveillance qui ne pardonne jamais, et qui tue. Savait-il, lorsqu’il me renvoya ?… Il devait savoir… Je vais écrire à Bolorec d’aller à la Trinité entendre le Père de Kern, et me dire comment il est maintenant, et quels sujets il a choisis pour ses sermons.