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quels sa frêle personnalité serait infailliblement prise et broyée. En attendant, cela lui causait des maux de tête violents, exacerbait jusqu’à l’ébranlement nerveux le fragile organisme de sa sensibilité.

La maison contiguë au magasin de quincaillerie appartenait aussi à M. Roch. Le bureau de la poste l’occupait, et la titulaire, Mme Lecautel, veuve d’un général, mort alcoolique et fou, disait-on, passait pour une femme instruite, supérieure. Sa personne, maigre et longue, d’aspect triste, souffrant sous le deuil perpétuel des robes noires, révélait, en effet, une distinction inhabituelle aux dames du pays et suscitait des sympathies respectueuses et cancanières, comme on en accorde aux êtres tombés d’une situation brillante dans le malheur. Elle avait une fille, Marguerite, du même âge que Sébastien ; et les deux enfants s’étaient liés d’amitié assez vive. M. Roch, fier de cette relation pour son fils, l’encourageait dans ses visites. Lui-même s’ingéniait à entourer d’égards fatigants et d’obsédantes politesses, Mme Lecautel, qu’il appelait galamment : « ma belle locataire » ; ce qui ne l’empêchait pas, du reste, de refuser toutes les réparations qu’elle lui demandait. De son côté, Mme Lecautel, sentant l’abandon moral de ce gentil enfant, réservé et silencieux, s’était pris d’intérêt pour lui, et le recevait maternellement. Il fut convenu que, tous les jeudis et tous les dimanches, il viendrait passer, chez elle, quelques heures. Souvent, par les beaux temps, son bureau fermé, elle l’emmenait à la promenade, avec sa fille.

Dans ces moments de crise, Sébastien éprouva