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tée de mes paroles ? », les promenades, les visites, les tête-à-tête plus fréquents devenaient pour Sébastien un intolérable supplice ; et, afin d’y échapper, il souhaitait ardemment que vînt l’heure du départ. Mais seul, en sa chambrette, le soir, parmi ces riens familiers qui l’entouraient, auxquels il rattachait des souvenirs naïfs et précieux, la terreur du collège le reprenait, et il eût voulu qu’elle n’arrivât jamais, cette heure brutale où il lui faudrait dire adieu à tout cela qui était partie intégrante de lui-même, moitié de sa chair, moitié de son âme. Ce qui lui faisait mal, plus encore que ces douloureuses alternatives, c’était de penser. L’inquiétude, maintenant, tenaillait son être tout entier, depuis que la réflexion s’installait en son cerveau. En lui infusant la semence d’une vie nouvelle, ce brusque viol de sa virginité intellectuelle lui infusait aussi le germe de la souffrance humaine. La paix de sa conscience était détruite, ses sens perdaient de la simplicité de leurs perceptions. Le moindre mot, le moindre objet, le moindre fait, autrefois sans signification morale, sans prolongements intérieurs, ouvraient à son esprit, par déchirements aigus, successifs, des horizons indéfinis et redoutables. Des questions de toute nature, grosses de mystères, se dressaient devant lui, trop faible pour les étreindre ; et il voyait confusément, au-dessus des limbes de son enfance physique, remuer des rudiments d’idées, s’agiter des formes embryonnaires de la vie sociale, fonctionner tout un appareil inexpliqué, discordant, de lois, de devoirs, de hiérarchies, de relativités, s’embranchant l’un sur l’autre, mis en mouvement par une multitude d’engrenages, dans les-