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Elle restera une idée… une idée française… éminemment française !

Les autres hochent la tête, approuvant. Ils discutent ensuite pour savoir ce qui leur représente le mieux l’idée de la Patrie.

— Moi, c’est la cavalerie ! professe M. Champier…

— Moi, c’est l’artillerie !… dit un autre… parce que, sans l’artillerie, vous aurez beau avoir la cavalerie…

Un troisième s’exclame :

— Et l’infanterie ?… l’infanterie, messieurs… Que diable, le pioupiou, le pioupiou français !…

Pendant quelques minutes l’on n’entend plus que ce mot : français qui vibre comme des coups de clairon, sur la bouche molle et couarde de ces affreux bourgeois. Je voudrais bien connaître, là-dessus, l’opinion de mon père. Il doit en avoir plusieurs d’admirables. Quel dommage qu’il ne soit pas là ! Je laisse M. Champier pérorer dans son groupe de patriotes, et je me dirige plus loin sur la route où je ne rencontre que des figures réjouies par l’attente.

La matinée est charmante, très douce, d’une douceur printanière. Un pâle soleil crève, par intermittence, les nuages blancs, soyeux, qui couvrent le ciel. Les lointains ont des délicatesses infinies, des puretés, des clartés sourdes de voiles virginaux, enflés de jeunes brises. Sur le bois de pins qui ferme l’horizon, sur le bois de pins d’un bleu paon noyé de nacres fluides, on dirait que courent des lueurs à demi éteintes d’arc-en-ciel. Et les haies barrent les champs de hachures pourprées, et les champs étendent leurs nappes vertes,