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toute, et ce que je ne comprends pas, je le devine. Mais elle m’a fait sursauter le cœur de joie. Bolorec, c’est-à-dire ce qu’il y a de meilleur dans mes souvenirs de collège ! Ce qui, seulement, a survécu à mes désenchantements ! Je le revois, lorsqu’il vint, pour la promenade, prendre place, entre Kerral et moi ! Comme il m’avait été antipathique, d’une antipathie amusée par sa laideur drôle ! Et puis, je l’ai aimé ! Malgré l’absence, malgré le silence, j’ai toujours, pour ce très étrange et peu communicatif ami des heures lourdes, une tendresse infinie, que je subis, sans trop me l’expliquer. Je crois précisément que cette tendresse s’augmente encore de l’énigme indéchiffrée qui est en lui, et qu’elle se fortifie de la crainte véritable qu’il m’inspire. Car, qu’est-il, Bolorec ? En vérité, je n’en sais rien. Combien de fois me suis-je posé cette question ? Combien de fois, aussi, lui ai-je écrit sans qu’il me répondît jamais ? Je m’imaginais qu’il m’avait oublié, et cela me faisait de la peine. Enfin, voici donc une lettre de lui ! Cette lettre je l’ai lue, relue vingt fois, peut-être. Bolorec est à Paris. Comment y est-il venu ? Qu’a-t-il fait depuis notre séparation ? Il ne me le dit pas. Bolorec me parle comme si je l’avais quitté la veille, et que je fusse au courant de sa vie, de sa pensée, de ses projets. Et ce sont à chaque ligne des réticences inintelligibles pour moi, des allusions cachottières à des affaires, à des événements que j’ignore. Ce que j’ai pu démêler d’un peu clair, dans cette lettre, c’est que Bolorec est à Paris, chez un sculpteur, « un pays à lui ». D’après ce qu’il me raconte, il ne sculpte guère, ni le sculpteur non plus. Je crois même qu’ils ne sculptent pas du tout. Dans la