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La mère Cébron s’est arrêtée de parler. Elle n’a plus voulu rien dire. Cela m’intrigue. Cet « et puis ! » me paraît plein de choses mystérieuses qui font que, tout d’un coup, je m’intéresse passionnément à ma mère. Mon imagination part, à la suite de cet « et puis ! », dans les hypothèses sans fin. Une idée me prend, atroce, sacrilège et charmante. « Ma mère a peut-être aimé quelqu’un ? Et ce quelqu’un l’a peut-être aimée ? » Et, à mesure que cette idée s’enfonce en moi, j’aime ma mère, je l’aime d’un amour immense, d’un amour encore inconnu, qui me gonfle l’âme. Je ne puis demander aucune explication directe à la mère Cébron ; et je prends des détours pour l’interroger :

— Est-ce qu’il venait beaucoup de monde, à la maison, autrefois ?

— Il en venait !… il en venait, comme ci comme ça…

— Mais, est-ce qu’il ne venait pas quelqu’un plus particulièrement ?

— Hé ! Non ! il ne venait personne, plus particulièrement.

Mais la vieille Cébron ment. Il venait quelqu’un, et ce quelqu’un aimait ma mère et ma mère l’aimait. Alors, je prends dans la caisse les pauvres loques pourries et je les embrasse, presque furieusement, d’un long, d’un horrible, d’un incestueux baiser.


8 janvier.

J’ai reçu, ce matin, une lettre de Bolorec.

Cette lettre est longue, d’une calligraphie heurtée, d’une orthographe bizarre, incohérente et folle, en bien des endroits. Je ne la comprends pas