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franchise ancienne de son regard se mêlaient de la méfiance et une sorte d’inquiétude louche qui mettait comme une pointe de lâcheté dans la douceur triste qu’il répandait autour de lui. Un peu de barbe tardive parsemait son menton et ses joues ; ses lèvres commençaient seulement à changer leur duvet clair en moustaches blondes, d’une blondeur ardente et dorée. À le voir passer, on eût dit qu’il fût las, toujours ; il semblait que ses membres, aux os trop longs, lui fussent pesants à porter et à traîner.

Ils s’engagèrent dans un petit chemin encaissé, profond, tout verdoyant qui mène vers les coteaux de Saint-Jacques. Sur les hauts talus, de chaque côté, les trognes de chêne, cachées par les touffes de bourdaines et de viornes, poussaient obliquement leurs branches qui, se rejoignant, faisaient sur le chemin une ombre fraîche, pailletée de soleil.

— Eh bien ? dit Mme Lecautel, avez-vous travaillé, un peu, ces jours-ci ?

— J’ai voulu semer des fleurs dans le jardin, répondit Sébastien… Des fleurs que m’avait données le père Vincent… Mais mon père me l’a défendu… Vous savez qu’il déteste les fleurs ! Il dit que ça prend de la place et que ça ne sert à rien… Alors, je suis parti dans le bois… et j’ai… rêvé !

— Et c’est tout ?…

— Mon Dieu, oui !… J’aurais bien lu, mais je n’ai plus de livres !

— Comme vous devez vous ennuyer !

— Pas trop !… non, pas trop !… je vois, je pense, et le temps passe… Hier, par exemple, toute la journée, j’ai regardé un nid de fourmis… Vous ne