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dures de la prairie, dont on suivait la sinuosité charmante, par l’onduleuse ligne des peupliers et des aulnes ; la route où passaient des gens qu’il reconnaissait, des charrettes de chez lui, des bêtes de chez lui ! Mais il avait, en tous ses sens, l’étourdissement du collège, comme après un voyage en mer l’on conserve longtemps encore, dans les oreilles, le bruit du vent, comme l’on ressent le mouvement de roulis du bateau. Il vécut ainsi, trois jours, trois jours d’engourdissement, sans souffrance, sans joie, sans pensée.

Le quatrième jour, au matin, la mère Cébron entra dans sa chambre. Elle revenait du marché, essoufflée et toute rouge, n’avait pas eu le temps de déposer à la cuisine son panier plein de légumes.

— Ah ! monsieur Sébastien ! monsieur Sébastien… Je crois bien que votre père est fou. Il déménage, c’est sûr !… faudrait que vous auriez entendu ça ?… Il était là, sur la place, ameutant les gens, et colère, colère !… Il disait : « Ah ! je le materai, allez !… C’est un misérable !… mais je le materai ! » On n’a point l’habitude de voir monsieur dans ces états-là !… Et dame, ça impressionne… Il disait encore : « Quand je devrais lui rompre les os, il faudra qu’il marche, allez ! » Et il racontait sur vous des horreurs ! des horreurs ! Non, sûr, c’est pas bien de sa part ! Mais, moi, je crois qu’il est fou !… Faut faire attention, monsieur Sébastien ; parce qu’avec les gens fous, on ne sait pas ce qui peut arriver… C’est-il vrai, dites, monsieur Sébastien, qu’on vous a pris, avec un petit gars comme vous, en train de… vous savez bien ?