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Ils quittèrent Vannes, le lendemain au petit jour. Pendant le voyage, M. Roch demeura sombre, irrité, la tête pleine de projets terribles et de punitions exemplaires. Sébastien, lui, regarda les champs, les bois, le ciel. Une pensée le préoccupait : « Le Père Recteur savait-il ? Qu’était devenu le Père de Kern ? » Puis, il pensa aussi à Bolorec. Où était-il ? que faisait-il en ce moment même ? Il aurait voulu connaître son pays, Ploërmel, afin de mieux se représenter, de mieux revivre, cet ami, cet unique ami des jours de tristesse, le seul qu’il regrettât. Et il imaginait des landes, des landes pareilles à celles de Sainte-Anne, des landes où des filles dansaient et chantaient :

Quand j’aurai quatorze ans.

L’arrivée à Pervenchères eut lieu de nuit, ce qui fut une consolation pour M. Roch ! « Pourvu qu’il n’y ait personne à la gare… Quelle figure ferais-je ? » avait-il dit, souvent durant la route. Il n’y avait personne. Les rues étaient désertes. Ils purent gagner la maison sans être vus.

Sébastien, relégué dans sa chambre, et n’en sortant qu’aux heures des repas, ne put s’habituer tout de suite à ne plus se savoir au collège. Il croyait entendre les bourdonnements de la cour, entendre les chuchotements, les glissements le long des murs. Et quand la mère Cébron entrait, il sursautait. Pourtant, l’horizon n’était plus borné par des murs, des toits, des cheminées ; c’étaient bien ses paysages aimés qu’il avait devant les yeux, les coteaux de Saint-Jacques, lointains, poudrés de cendre bleue, la rivière, invisible dans les ver-