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papiers. Sans lever la tête, il indiqua du geste une chaise où Sébastien s’assit, ou plutôt s’effondra, et, durant quelques secondes, il continua son examen. Sa barette reposait sur un coin du bureau ; il était nu-tête, le visage presque entièrement noyé d’ombre bleuâtre, et le contour de toute sa personne se découpait net, élégant et fort, sur la clarté blanche de la fenêtre.

Le Père Recteur ne se prodiguait pas aux élèves, sur lesquels, cependant, il exerçait un prestige considérable. Lorsqu’il apparaissait dans les cours, à l’étude, à quelque cérémonie, sa présence était un événement et faisait sensation. Il se montrait, en toutes circonstances, plein de douceur et environné de majesté, interpellait par son nom chaque élève, félicitait celui-ci, encourageait celui-là, réprimandait cet autre, toujours à propos, d’un ton où le laisser-aller paternel n’abdiquait jamais l’autorité du maître. Cette sûreté de coup d’œil, cette extraordinaire mémoire, cette connaissance approfondie qu’il avait des défauts et des qualités de chacun, n’étaient pas un des moindres étonnements qui le faisaient vénérer et craindre de ses collégiens. Aussi, le tenait-on pour quelqu’un de plus qu’un être humain. Il était avec cela d’une beauté rare, d’une prestance vraiment royale ; et, sous l’ascétisme mondain, grave et désabusé, de sa physionomie, il y avait une fleur vivante et charmante d’ironie, dont l’éclat triste tempérait ce que son regard avait parfois de sécheresse et d’impénétrabilité. Très soigné en sa mise, il savait relever, d’un discret détail de toilette : col blanc, chaussures bien faites, la monotonie du costume ecclésiastique. Sans savoir pourquoi, on l’aimait