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salle. Les yeux sur son bréviaire, le Père continue sa marche lente, jusqu’au fond des arcades, qu’il quitte pour remonter, du même pas tranquille, vers le haut de la cour. Sébastien, interdit, demande :

— Crois-tu qu’il nous ait vus ?

— Eh bien ? Quand il nous aurait vus, qu’est-ce que ça fiche ?

C’est vrai ! Qu’est-ce que ça fiche ? Ils n’ont point fait de mal. Et, toute la journée, il a pensé au violon, si triste, sur la chaise. Le soir, préoccupé de la brusque rencontre du Père, il a cherché, sournoisement, à lire dans ses yeux, à surprendre dans son attitude s’il n’y a point quelque chose de changé, quelque chose de plus sévère qui dise : « Je vous ai vus ! » Son attitude est la même ; ses yeux, indifférents et paisibles, errent à travers la vaste pièce qu’emplit un bruit de travail, de papier froissé, de livres feuilletés, de plumes grinçantes. Pas une minute, ils ne sont posés sur lui.

Et voilà que, ce matin, un petit frère, le petit frère jaune et osseux, est venu à l’étude et il a emmené Bolorec. Puis, un quart d’heure après, il est revenu, et il a emmené Sébastien. Sébastien, très rouge, a traversé l’étude, parmi les têtes levées, intriguées. Il a même, sur son passage, entendu des chuchotements, des « Kiss ! Kiss ! Kiss ! » insultants et féroces. Par-dessous son pupitre, Guy de Kerdaniel lui a allongé un croc en jambes, qui l’a fait trébucher, et il a murmuré entre ses dents : « Salaud ! Salaud ! » Le Père de Kern est accoudé sur sa chaise haute, le buste oblique, le front calme, un livre ouvert devant