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— Eh bien ! nous en volerons… Tu n’as jamais volé, toi ?… Moi, si, j’ai volé… J’ai volé, un jour, un lapin à une vieille femme.

— C’est mal de voler… Il ne faut pas voler.

— Pas voler ?… a répondu Bolorec, en haussant les épaules… Ah ! bien… Pourquoi avait-elle un lapin ?… Pourquoi Kerdaniel a-t-il de l’argent plein ses poches, une montre en or, et que nous n’avons pas d’argent, nous autres, ni de montre en or, ni rien, quoique nous soyons dans le même collège ?… Je lui volerai de l’argent, moi, à Kerdaniel, et nous partirons.

— Mais pour où ? s’est obstiné Sébastien.

— Je ne sais pas, moi… Pour chez nous.

— Alors nos parents nous renverront dans un autre collège.

— Eh bien ! Ça ne sera pas celui-là !…

Et Sébastien a poussé un gémissement :

— Oui ! Et nous ne serons plus ensemble !… Qu’est-ce que je deviendrai, sans toi ?

— Tu deviendras !… tu deviendras !… Alors, tu ne veux pas partir ?… Tu aimes mieux qu’on t’engueule toujours, et moi, qu’on me fiche des coups, parce que toi, ton père est quincaillier, et que moi, mon père est médecin ?… Je ne dis rien, parce qu’ils sont plus forts que moi… Mais attends… J’ai un grand-oncle qui était chef pendant la Révolution… Il tuait les nobles ! Papa ne veut pas qu’on parle de lui, parce que papa est royaliste, et il le traite de brigand… Mais moi, je l’aime, mon grand-oncle…

— Il tuait les nobles ! a répété Sébastien, effrayé du regard de haine qu’avait Bolorec en parlant.