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t’apprendrai des choses que tu ignores, des belles choses que m’a apprises le Père de Kern, et qui font claquer les dents de plaisir. Regarde-moi. Suis-je belle ainsi ? » Elle levait sa jupe, lui tendait à baiser son corps prostitué et couvert d’immondes souillures : « Et puis, nous irons, le soir, dans les bois ; nous nous cacherons dans des chambres obscures ; je te ferai un lit de tout ce qui est doux et moelleux, et je me renverserai sur toi… tiens !… Tu ne veux pas ?… » Elle l’attirait, pâmée, les mains hardies, la bouche sifflante, les yeux renversés sous les paupières battantes : « Je te donnerai de volupté tout ce qu’en contient le monde, et tu mourras de mes caresses… Non ? Alors, je retourne au Père de Kern… Adieu ! »

Sébastien haletait. Il fit le geste de retenir Marguerite qui fuyait ; mais ses mains n’étreignirent que le vide. Et le vide se repeupla de formes chastes, de clartés tranquilles. Il regarda autour de lui, devant lui. Le jour était charmant ; le bois s’enfonçait dans des profondeurs noyées de paisibles mystères. À ses pieds une digitale issait de l’herbe, sa frêle tige chargée de clochettes pourprées. Partout, entre les feuilles, les élèves couraient, se poursuivaient, montaient aux arbres. Avait-il donc dormi ? avait-il donc rêvé, tout éveillé ? Rêvait-il toujours ? Il se frotta les yeux. Des lambeaux de ce rêve salissaient encore la calme résurrection de cette nature immaculée. Encore, il lui restait, de ce rêve mal dissipé, dont les impudentes images s’effaçaient à peine, des sensations étranges et des voluptés douloureuses : une coulée de feu dans ses veines ; une chaleur