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et pauvre comme les malheureux qui venaient y prier. À peine si, basse et de crépi obscur, elle se distinguait des autres maisons qui l’entouraient. Sous ces voûtes primitives, aux charpentes apparentes et gauchies, il n’y avait point d’ors, point de marbres, point de bronzes, point de colonnes orgueilleuses, ni d’autels insolents et parés, semblables à des lits de courtisane. Son seul luxe, sa seule richesse, c’étaient les ex-voto naïfs qui couvraient les murs nus, les bateaux suspendus dans les nefs par des marins sauvés d’un naufrage, et l’autel candide où, parmi les fleurs toujours fraîches et les lumières des cierges jamais éteints, la sainte – une sainte de plâtre doré – versait sur les fidèles l’illusion chère de ses miracles et de ses bontés.

Sébastien ne put prier. Sur la même rangée que lui, dans la grande nef, entre les bancs, le Père de Kern était agenouillé, les coudes sur un prie-Dieu. Il ne le voyait pas, mais il le sentait là, et cette présence glaçait ses élans, empoisonnait ses ferveurs. La prière commencée ne s’achevait pas ; elle fuyait aussitôt, se dissipait, insaisissable, comme une fumée. Et puis, il lui sembla que la sainte détournait de lui son regard peint, mais qui savait tout. Alors, tant que dura l’office, il fixa les yeux sur une frégate, une frégate qui se balançait au-dessus de lui, dans l’air, au bout d’une chaînette. Cette frégate, avec ses mâts, ses voiles hissées, petite ainsi qu’un jouet d’enfant, lui parla de voyages lointains. Il aurait voulu partir, emporté par ces gentilles voiles, sur des flots inconnus, s’enfoncer loin, plus loin, mettre des mers, des continents, d’infranchissables montagnes entre