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VI


La route de Vannes à Sainte-Anne n’est qu’une longue tristesse. Elle donne l’impression des pays bibliques, des plaines désolées de l’Asie Mineure. On dirait que d’anciens soleils, maintenant éteints, ont desséché, stérilisé, calciné ce sol de cendre durcie et de fer pulvérisé, où ce qui pousse est sombre et chétif, où l’eau elle-même brûle comme un acide l’herbe rare, où ne florit que la fleur rouillée de l’âpre ajonc et de la brande, à peine rose. Instinctivement, sur les poussières mortes, on cherche l’empreinte des pas des prophètes, et la trace des longs cheminements des pèlerins. C’est dans de semblables paysages que saint Jean hurla ses imprécations.

Pour accomplir leurs mystères, les religions ont toujours choisi des lieux maudits et décriés ; elles n’ont pas voulu que, près de leur berceau, éclatât la joie de la nature qui déshabitue des Dieux. Il leur faut l’ombre, l’horreur des rocs, la détresse des terres infertiles, et les ciels sans soleil, les ciels couleur de sommeil, où les nuages qui