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Il osait parler, à cause des ténèbres qui les enveloppaient tous les deux et qui lui cachaient ce visage, ce regard. Mais il comprenait qu’il serait demeuré sans voix, dans la lumière, que la vue de cet homme lui serait désormais insoutenable, qu’il ne pourrait plus lever les yeux sur lui, qu’il mourrait de honte. La pensée d’être maintenant obsédé par cette présence continue, par l’image persécutrice et sans cesse vivante, et à toute minute évoquée, de sa souillure, la certitude de ne plus se soustraire, jamais, à cette hantise, ni pendant l’étude, ni pendant les récréations et les promenades, ni au dortoir, où l’ombre du prêtre, sur les rideaux de la cellule, viendrait lui rappeler l’indélébile horreur de cette nuit, chaque soir, tout cela l’accabla. Oh ! pourquoi n’avoir pas écouté ses pressentiments ? Pourquoi s’être laissé reprendre, malgré son instinct divinateur, aux paroles berceuses de cet homme, à ses conseils empoisonnés, à ses poésies, à ses tendresses qui masquent le crime ? Et ce qui l’irritait, c’était de n’avoir contre ce criminel aucune haine ! Il ne lui en voulait pas ; il s’en voulait à soi-même de sa confiance absurde et complice.

— Voyons, mon enfant, dit le Père. Il faut rentrer.

Et, cyniquement, de sa main tâtonnante, s’assurant que les vêtements de Sébastien étaient en ordre, il demanda :

— Avez-vous rajusté vos habits ?

— Non, non, laissez-moi… Je ne veux pas rentrer… Ne me touchez pas… Oui, j’ai rajusté mes habits.

— Nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps… Il est tard, déjà !…