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Maintenant Sébastien était au bord du lit, à moitié dévêtu, les jambes pendantes, anéanti, seul. Seul ?… Oui. Il tâta, de la main, autour de lui, le vide ; il tâta, de la main, autour de lui, les couvertures défaites. Il était seul. Dans ses membres, il ressentait comme un brisement, sur ses joues, comme une brûlure douloureuse. Son cerveau était meurtri, et lourd, lourd affreusement, si lourd qu’il ne pouvait pas le porter. Il y avait dans ses souvenirs une interruption, une cassure brusque, violente, terrible. Rêvait-il ? Mais non, il ne rêvait pas. Il ne rêvait pas, car le Père aussi était là. Il était là, dans l’ombre, furetant. Sa silhouette passait et repassait, noire, agile, infernale, dans le rectangle de jour livide qui s’était obliquement allongé, sur le plancher, et coupait la pièce, en toute sa largeur, d’une blancheur morne de suaire. Et c’étaient les mêmes heurts, les mêmes chocs, les mêmes glissements, que lorsqu’il était entré là… depuis combien de temps ? Au loin, très loin, assourdi par des interpositions de murs, le vent râlait ses obscures, ses monotones plaintes.

— Buvez un peu, mon enfant, cela vous fera du bien…

Le son de cette voix le fit sursauter. Cependant, il tendit avidement ses lèvres au verre qu’on lui offrait. Il avait une soif ardente, une soif inextinguible. Il but quelques gorgées.

— Merci ! dit-il, machinalement.

Puis il entendit les mêmes grincements de serrures, les mêmes vibrations de cristal. Puis il vit la chambre s’éclairer à la lueur d’une allumette, le Père allumer une cigarette, le petit tison rouge brûler et danser dans l’ombre. Il était sans haine,