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tement, éloignant d’un joli geste les branches trop basses, qui barraient le passage. Sébastien se tenait à ses côtés, timide, vaincu, la tête penchée vers le sol, où tremblaient des gouttes de soleil.

— Ne parlons plus de cela, jamais, n’est-ce pas, mon cher enfant ?… dit le Père… Nous devons oublier les offenses… nous devons même les aimer, comme les aima Jésus, puisqu’elles nous rendent plus chers les repentirs, et si doux les pardons !…

Il ajouta d’un ton ineffable qui secoua Sébastien jusqu’au plus profond de ses moelles :

— Ô petite âme inquiète, dans laquelle je lis !…

Sébastien n’osa lever les yeux sur le Père. Il lui semblait qu’en marchant, ses pieds ne courbaient pas la pointe des herbes, et qu’il avançait dans la lumière, si haut, si grand, si surhumain, que son front touchait le ciel.

Les causeries quotidiennes, les leçons reprirent leurs cours interrompu. Tous les deux, le soir, ils revinrent dans l’embrasure de la fenêtre, et le petit Sébastien goûta un plaisir plus vif à ces rencontres coutumières, auxquelles la nuit prêtait un double mystère de fête religieuse et de rendez-vous défendu.

Le Père de Kern déploya toute sa grâce inventive à rendre ses leçons indestructiblement attachantes. Par le mot qui persuade et qui caresse, par l’éloquence évocatrice de l’idée, il savait expliquer, fixer en inoubliables images les choses les plus abstraites, et donner aux personnages les plus lointains du passé un caractère de séduisante contemporanéité qui les faisait plus visibles, plus proches, presque familiers. Sébastien s’étonna de