Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/174

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui manquait véritablement, quelque chose d’essentiel, d’irremplaçable, comme le pain pour qui est affamé. Et la tristesse, une tristesse d’autant plus pénible à porter qu’elle était plus lourde de regrets, l’envahissait de nouveau. Il avait besoin d’une protection, d’une intelligence, d’une voix qui versât sur son esprit, sur son cœur, le baume des paroles enchanteresses et consolatrices. Cette protection, cette intelligence, cette voix qu’il avait appelées, elles étaient venues à lui, inespérément à lui, si longtemps dédaigné de tout le monde, et voilà qu’il les repoussait, maintenant, sollicité par de sottes et coupables craintes qu’il lui était d’ailleurs difficile de préciser. Depuis qu’il se trouvait moins souvent en contact moins intime avec le Père de Kern, celui-ci ne l’effrayait plus. Au contraire, Sébastien s’étonnait, s’attendrissait de voir qu’il demeurait le même à son égard. Il aurait pu se venger de cette vilaine ingratitude. Eh bien ! non. Rien n’était changé aux bienveillantes allures de ce prêtre admirable et doux. Aucune des libertés spéciales, des gracieuses privautés dont Sébastien jouissait, ce saint homme ne les lui avait retirées ; et, dans ses yeux, dont le regard redevenait normal, il n’y avait ni sévérité, ni colère ; il n’y avait que la souffrance, une souffrance lumineuse et volontaire comme celle qui brille sur les visages décharnés des martyrs. Sébastien l’observait, ému, repentant, l’âme affligée de remords. Oui, il devait porter un cilice, se tuer de macérations, déchirer son corps aux pointes de fer des disciplines. Cela se voyait à la lenteur douloureuse de sa marche, à la douloureuse flexion de sa taille, à la douloureuse lividité de sa peau.