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d’énormes échafaudages, dans les cathédrales sonores, dans les vestibules des palais en fête, il couvrait les murs, de madones extasiées, de christs douloureux, sous le regard des belles femmes qui tendaient vers lui leurs bras nus, et leurs lèvres pâmées d’amour.

Un jour, son professeur le mena à la bibliothèque des Pères. Il lui fit d’abord admirer les vitrines remplies de livres, antiques in-folio reliés de très vieilles basanes, mais cela n’intéressa pas Sébastien, tous ces dos alignés de volumes sur lesquels s’étalaient de rébarbatifs titres latins. Et puis l’odeur de colle forte et de vieux papiers, qui flottait dans cette atmosphère, l’affadit. Il préféra regarder un Christ en croix, mauvaise copie d’Alonso Cano, qui occupait le mur du fond entre deux toiles de l’École espagnole, écaillées, craquelées, et dont le noir avait presque dévoré les couleurs primitives. Il s’étonna d’apprendre que ces tableaux étaient de Ribera, dont le Père lui avait parlé avec tant d’enthousiasme. Un petit frère, aux yeux louches, à la tête rasée, comme un forçat, qui balayait le parquet, à l’autre bout de la bibliothèque, avait disparu, discrètement. Ils étaient seuls, tous les deux, dans la vaste pièce. Le Père de Kern ouvrit une armoire, en retira un carton, qu’il déploya sur une table. C’était une suite d’anciennes estampes, reproduisant des tableaux célèbres de la Renaissance… un triomphe de la Vierge, une Marie-Madeleine prostrée aux pieds du Christ, et les baisant… Le Père commentait chaque estampe. Peu à peu, il s’était rapproché de Sébastien, si près que son souffle se mêlait au souffle de l’enfant.