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— Je crois, lui dit-il, que les convenances sont absolument sauvegardées… Vous êtes veuve, je suis veuf également… Votre premier mari était général, moi, je suis maire. Ce ne serait donc pas pour vous une déchéance. J’ai une certaine fortune, honorablement gagnée dans la métallurgie… Et quant à mon âge, ajouta-t-il galamment, ne vous en effrayez pas… J’ai vécu toute ma vie à l’abri des passions… Certes, je ne suis plus un jeune homme, ce que j’appelle… Mais enfin !… mais enfin !… D’ailleurs, vous le verrez vous-même.

Aux refus polis que lui opposa Mme Lecautel, et que l’ancien quincaillier prenait pour de l’embarras pudique, il répondit :

— Ça ira très bien, je vous assure… Mon Dieu, je le sais, à nos âges, on ne pense plus guère aux folies… Mais enfin !… mais enfin !… Un petit regain de temps en temps, cela ne peut qu’embellir la vie. Et puis vous n’êtes pas riche. Je m’arrangerai pour vous faire une gentille donation sans trop léser les droits de mon fils… Voyons, réfléchissez… Puis-je vous appeler Madame la Mairesse ?

Mme Lecautel fut obligée de l’éconduire plus nettement. Il s’en montra dépité, et, quelques semaines, il lui garda rancune.

— Si elle s’imagine qu’elle en aura à la douzaine, des maires comme moi ! récriminait-il souvent… Un maire !… C’est un général aussi… un général civil !

Alors, pour se distraire, il eut une héroïque, extravagante idée, que lui avait sans doute suggérée le voisinage de la mort. Il acheta, au milieu du cimetière, dans l’axe même de la grille d’en-