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dans le jardin, auquel il ajouta des grottes artificielles, un bassin où nagèrent des poissons rouges, et, çà et là, sur des éminences gazonnées, des boules de verre colorié. Il vécut en parfait bourgeois et s’ennuya. Maintenant, il était maire de Pervenchères, suppléant du juge de paix, ambitionnait sourdement de se faire élire conseiller d’arrondissement. Mais, malgré la multiplicité et la nouveauté de ses occupations, il ne se trouvait pas heureux dans cette maison neuve, si vide, qui n’avait pas d’autres voisins que les morts du cimetière. Un vieux fond d’habitude commerciale le ramenait à son ancien magasin, et, tous les jours, pendant deux heures, il s’asseyait, près du comptoir, les jambes écartées, les deux mains croisées sur la pomme de sa longue canne, et là, autoritaire et bienveillant, il s’intéressait au mouvement des affaires, donnait des conseils, pérorait, sur toutes choses, intarissablement.

Un jour, il éprouva le besoin de se créer un intérieur, de se faire de la vie autour de lui, c’est-à-dire d’avoir, sans cesse, des êtres à portée de ses discours, des êtres à qui il pût confier ses désirs secrets, ses ambitions, ses projets de réformes municipales. Sérieusement il songea à se remarier. Mme Lecautel lui plaisait beaucoup. Elle avait de belles manières, une instruction soignée, et il ne pouvait souhaiter rien de mieux quand, par exemple, il recevrait à sa table, le préfet en tournée de révision. Et puis, ce n’était pas une mince gloire que de succéder dans le cœur d’une femme, à un général de brigade. Après avoir pesé le pour et le contre, il se décida à demander la main de sa belle locataire.