Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’aurais dû, peut-être… Dans les circonstances actuelles, et pour dix jours seulement, payer la dépense d’un tel voyage, ajouter cette charge à toutes les charges dont tu m’accables, c’est dur !… Je ne suis pas millionnaire, sacredieu !… Si tu es là en ce moment, c’est que j’ai voulu te parler moi-même, te raisonner… Je me suis dit que j’aurais sans doute plus d’autorité sur toi que tes maîtres… Car enfin, un père est un père… Et même, je puis me vanter de n’être pas un père comme tous les autres…

Des gens, sur la route, passaient, reconnaissaient Sébastien.

— Ah ! c’est monsieur Sébastien !… Bonjour monsieur Sébastien !… Comme vous avez maigri ! Comme vous êtes pâlot !

— Mais non ! Mais non ! Il n’a pas maigri ! protestait M. Roch… Il est gras, au contraire, il est trop gras !

Son fils maigrir chez les Jésuites ! Il ne pouvait admettre une telle supposition : elle lui semblait une injure contre cet ordre confortable, un reproche indirect lancé à sa personne.

— C’est le voyage ! expliquait-il.

Et, non sans brusquerie, arrachant Sébastien aux compliments du retour, il reprenait, de sa voix digne où tremblait une irritation inhabituelle :

— Je suis outré !… outré !… Tu ne me causes que des tourments… Tu vois, c’est parce que tu es paresseux que M. de Kerral n’a pas voulu de toi… Il a redouté pour son fils un pernicieux exemple !… Parbleu ! c’est clair !… D’abord, je te défends de raconter à nos amis cette déconvenue,