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se moquait ? Justement, une bande de musiciens allemands étaient venus à Pervenchères. Ils étaient sales, dépenaillés, avec de longs cheveux, et des allures de brigands. On les soupçonnait beaucoup d’avoir mis le feu chez Richard, l’épicier. D’ailleurs, tous les musiciens qu’il avait connus étaient ainsi : des va-nu-pieds !… C’est comme le dessin !… Est-ce que le dessin devait faire partie d’une éducation mâle ? Napoléon dessinait-il ? Il gagnait des batailles et bâtissait le Code civil, ce monument incomparable, cette colonne Vendôme de la civilisation moderne !… Non, non… cent fois non ! Il entendait que son fils apprît du solide, du solide encore et toujours du solide. Il ne se saignait pas aux quatre membres pour que son fils – son fils unique, le dernier espoir des Roch –, en arrivât, plus tard, à vagabonder sur les grand-routes, une clarinette sous le bras ! De la musique !… du dessin !… Mais il était donc décidé à faire le désespoir de sa famille !

Sébastien se résigna. Son père avait peut-être raison. Sans doute il était un paresseux, un méchant enfant, se conduisait mal. Ce dégoût de ses devoirs, ce désir des choses anormales étaient coupables, évidemment, mais supérieurs à sa volonté. Il obéissait à des forces invincibles contre lesquelles il ne pouvait rien. Il se rendait compte que depuis son entrée au collège il était bien changé. Ne vivant que par sursauts, dans des anxiétés continuelles, passant d’une résolution à une autre, sans s’arrêter à aucune, retombant d’un enthousiasme à un affaissement, aujourd’hui révolté, demain soumis, le cerveau, le cœur pleins de choses contradictoires, d’aspirations différentes