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mées des grandes houles musiciennes. Étourdi, rompu, avec un goût persistant d’encens sur la bouche, un goût de divin, Sébastien revenait de la messe, comme il était revenu de la mer, anéanti, chancelant, et gardant de longues heures le goût de salure fort et grisant dont s’étaient saturées ses lèvres.

De ces hauteurs où son âme avait un instant plané, il retombait plus lourdement que jamais dans le dégoût des besognes journalières. Ses livres lui faisaient horreur davantage ; il en comprenait mieux le vide affreux, le barbare mensonge et la déprimante hostilité. Les ouvrir seulement, et c’était la nuit, aussitôt ; une nuit noire, opaque, qui l’enveloppait, et où rampaient des larves gluantes, à tête de prêtres. Oh ! comme il eût désiré être une de ces voix qui chantaient à l’église ! Quelle ivresse de pouvoir arracher à un instrument de bois, à une plaque de métal, ces harmonies qui versent l’extase ! Quel orgueil de pouvoir créer ce langage magique et béni, qui exprime tout, même ce qui est inexprimable ; qui explique tout, même ce qui demeure inexpliqué. Il supplia son père de lui permettre d’apprendre la musique. Mais il fallait payer des leçons supplémentaires et M. Roch fut fort scandalisé d’une pareille demande, ce qui n’était pas le « fait d’un garçon sérieux et bien élevé ». M. Roch répondit que la musique n’était qu’une amusette indigne d’un homme et bonne aux femmes qui n’ont rien à faire, aux aveugles qui mendient leur pain. Est-ce qu’il l’avait apprise, la musique, lui ? Son fils voulait-il donc devenir vagabond, ou joueur d’ophicléide, comme François Martin, dont tout le monde